Si la France a déjà posé des bases solides avec l’Index égalité professionnelle, la directive élargit considérablement le champ des obligations et renforce les attentes envers les employeurs. À l’horizon 2026, les entreprises ne pourront plus se contenter d’afficher quelques indicateurs : elles devront démontrer la cohérence de leurs pratiques salariales, assumer un niveau de transparence salariale inédit et s’appuyer sur des données fiables pour justifier chaque décision.
Derrière ce texte européen se joue un changement de culture. La rémunération, longtemps considérée comme un sujet sensible, quasi confidentiel, devient un objet de dialogue structuré entre les salariés, les représentants du personnel et la direction. Pour les RH, cela représente un défi considérable : rendre visible ce qui ne l’était pas, expliciter ce qui était implicite, harmoniser ce qui avait tendance à varier d’un manager à l’autre. Pour les SIRH, c’est l’occasion de monter en puissance et de prouver leur rôle central dans la qualité de la donnée et dans la conformité réglementaire.
Un nouveau cadre réglementaire qui réinvente le recrutement et les pratiques salariales
Une transparence obligatoire dès l’offre d’emploi
Jusqu’à présent, les entreprises françaises disposaient d’une grande latitude dans la façon d’aborder la rémunération lors d’un recrutement. Certaines communiquaient une fourchette, d’autres préféraient rester discrètes, quitte à dévoiler le niveau de salaire à la toute fin du processus. La directive européenne met fin à ces pratiques hétérogènes en imposant une transparence salariale dès la publication de l’offre d’emploi.
Concrètement, un candidat devra pouvoir connaître le salaire de départ ou la fourchette proposée avant même d’entamer la discussion avec le recruteur. Cette nouvelle règle a un impact direct sur la structure des politiques de rémunération, car elle empêche les ajustements improvisés et oblige les entreprises à disposer de grilles internes claires, cohérentes et régulièrement actualisées. Les fourchettes trop larges ou mal calibrées deviendront vite des sources de questionnement et pourraient fragiliser la crédibilité de l’entreprise.
Cette transparence impose aussi un alignement plus fort entre RH et managers. Il ne sera plus possible de faire varier l’offre selon « le profil » ou « la marge de négociation » du candidat : la fourchette affichée crée un engagement implicite auquel l’entreprise doit se tenir. Cela suppose un travail en amont, parfois conséquent, pour harmoniser des pratiques internes parfois très disparates.
Des entretiens encadrés et une logique plus équitable
Autre évolution majeure : l’interdiction de demander aux candidats leur rémunération actuelle ou passée. Cette pratique, répandue et souvent considérée comme anodine, contribue pourtant à perpétuer des inégalités historiques, notamment entre les femmes et les hommes. En supprimant cette question, la directive oblige les recruteurs à se focaliser sur les compétences, les responsabilités attendues et la valeur du poste et non sur la capacité du candidat à négocier ou sur son passé professionnel.
Cette exigence entraîne une révision profonde des processus de sélection. Les critères d’évaluation doivent être clarifiés, documentés et appliqués de manière homogène. Les managers devront être accompagnés pour adopter des pratiques réellement neutres du point de vue du genre et éviter les biais inconscients qui influencent les décisions de recrutement. Cette harmonisation n’est pas seulement une question de conformité : elle participe à renforcer la confiance des candidats et à professionnaliser davantage les parcours d’embauche.
L’attractivité en ligne de mire
Avec la transparence obligatoire, les entreprises ne seront plus seulement jugées sur leurs missions, leurs valeurs ou leurs dispositifs de qualité de vie au travail : elles seront évaluées sur leur capacité à afficher une politique salariale claire et assumée. Celles qui proposeront des fourchettes cohérentes et alignées avec le marché renforceront leur attractivité. À l’inverse, des informations floues, mal calibrées ou incohérentes risquent de faire fuir les talents les plus exigeants.
Les candidats ne se contenteront plus de comparer les offres : ils compareront la logique derrière les offres. Quel est le positionnement de l’entreprise ? Comment se situent les postes les uns par rapport aux autres ? Les règles d’évolution sont-elles structurées ? Cela introduit un niveau de lecture supplémentaire, qui oblige les employeurs à se montrer beaucoup plus transparents sur leurs choix.
De nouveaux droits pour les collaborateurs et une obligation de justification renforcée
Le droit à l’information : une évolution majeure du droit du travail
Une fois embauchés, les salariés bénéficieront d’un droit d’accès élargi aux informations relatives à leur rémunération. Ils pourront demander à connaître leur salaire exact, mais aussi la rémunération moyenne des collègues occupant des postes comparables. Cette ouverture est un véritable changement de paradigme dans le rapport qu’entretiennent les équipes avec leur salaire. Ce qui était autrefois perçu comme une information personnelle, presque taboue, devient un élément du dialogue professionnel.
Les RH devront être en mesure de répondre rapidement et clairement à ces demandes. L’information ne pourra pas se limiter à un chiffre : elle devra être accompagnée d’une explication, d’un raisonnement, d’une démonstration factuelle. Cette pédagogie sera essentielle pour éviter des interprétations erronées ou des comparaisons hâtives.
Une charge de la preuve désormais à la main de l’employeur
En cas de contestation, la directive inverse la logique traditionnelle : ce n’est plus au salarié de prouver que l’écart de rémunération est injustifié, mais à l’entreprise de démontrer qu’il repose sur des critères légitimes et non discriminants. Cette évolution renforce considérablement les obligations de justification.
Pour être crédibles, les explications devront être fondées sur des éléments objectifs : niveau de compétences, responsabilités, expérience, performance, ancienneté… Mais surtout, ces critères devront être appliqués de manière uniforme dans l’ensemble de l’organisation. Une pratique approximative, une exception accordée à un collaborateur ou un raisonnement mal documenté peut suffire à fragiliser l’entreprise en cas de litige.
Par ailleurs, cette obligation de justification implique une historisation rigoureuse des décisions salariales. Chaque augmentation, chaque prime, chaque revalorisation devra pouvoir être justifiée a posteriori. L’époque où certaines décisions se prenaient “à l’intuition” ou en fonction de la force de négociation d’un collaborateur touche clairement à sa fin.
La France et l’Index égalité : continuité et approfondissement
La France n’est pas novice sur le sujet. Depuis 2019, l’Index égalité professionnelle impose aux entreprises de 50 salariés et plus de mesurer les écarts femmes-hommes et de mettre en place des actions correctives. La directive européenne ne remplace pas cet outil : elle l’élargit, l’affine et le renforce.
La version française à venir devrait introduire des indicateurs supplémentaires, notamment sur les rémunérations variables et sur la ventilation des écarts par catégorie d’emploi. Elle devrait également clarifier les méthodologies utilisées, afin d’améliorer la comparabilité entre entreprises et d’élever le niveau d’exigence.
Les 7 nouveaux indicateurs prévus :
- écart de rémunération entre les femmes et les hommes ;
- écart de rémunération ente les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
- écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes ;
- écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
- proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires ;
- proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins dans chaque quartile ;
- Ecart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégorie de travailleurs, ventilé par salaire de base et composantes variables ou complémentaires.
Le seuil européen fixé à 100 salariés pourrait ne pas être retenu en France, le gouvernement laissant entendre qu’il souhaite maintenir l’obligation dès 50 salariés. Si cette hypothèse se confirme, un plus grand nombre d’entreprises seront directement concernées, ce qui accroîtra la nécessité d’une préparation méthodique dès maintenant.
Une évolution profonde du dialogue interne
La transparence salariale n’est pas seulement un sujet réglementaire : c’est un sujet culturel. Les collaborateurs vont naturellement s’interroger davantage, poser plus de questions, comparer les évolutions, questionner les pratiques. Les RH devront anticiper cette évolution et préparer un discours interne clair, stable et cohérent.
Les managers auront également un rôle à jouer. Ils devront être capables de parler de rémunération sans gêne, d’expliquer les logiques de progression et d’accompagner leurs équipes de manière apaisée. Cette montée en compétences managériale sera essentielle pour éviter que la transparence ne vienne déstabiliser les collectifs de travail.
Des sanctions à prévoir en cas de non-respect
La transposition en droit français n’étant pas finalisé, le détail des sanctions ne l’est pas non plus. Cependant des sanctions administratives, sous la forme d’amende relative à un pourcentage de la masse salariale ou forfaitaire en fonction du manquement sont privilégiés. A ce jour, il n’est pas prévu de création de nouvelles sanctions pénales
Une transformation structurelle portée par les données : le rôle central du SIRH
La qualité de la donnée, fondation de la conformité
La transformation imposée par la directive repose sur une donnée salariale complète, exacte et harmonisée. Or, dans beaucoup d’entreprises, les informations liées à la rémunération sont dispersées entre la paie, les systèmes de gestion des temps, les outils de notes de frais ou encore les référentiels de métiers.
Le SIRH devient donc la pierre angulaire de la transparence salariale. C’est lui qui centralisera, fiabilisera et historisera les informations. Sans cette base solide, aucune analyse fiable n’est possible, et toute tentative de justification risque de se heurter à des incohérences.
Cette consolidation doit également inclure les rémunérations variables, souvent plus complexes à tracer. Les bonus, primes exceptionnelles, avantages en nature ou dispositifs de rémunération différée devront être intégrés dans une vision globale, car ils influencent directement les écarts analysés.
Structurer les emplois pour comparer “travail égal ou de valeur égale”
L’un des concepts clés de la directive est la notion de “travail de valeur égale”. Pour pouvoir l’appliquer correctement, il est indispensable de disposer d’une cartographie claire des métiers, des niveaux et des responsabilités.
Le SIRH permet de structurer les familles de postes, d’associer des niveaux de compétences et de définir des fourchettes de rémunération homogènes. Cette architecture offre une grille de lecture commune à toute l’entreprise et facilite l’identification des écarts injustifiés.
Structurer les emplois, ce n’est pas seulement créer un organigramme : c’est doter l’organisation d’un référentiel partagé, qui servira autant au recrutement, à la gestion de carrière, qu’aux analyses salariales.
Produire des analyses robustes et automatiser les reportings
La directive impose des obligations de reportings réguliers. Il ne s’agit pas simplement de publier un indicateur global, mais de fournir une analyse approfondie, différenciée par catégories d’emploi, avec la capacité d’identifier un écart significatif et de le corriger dans un délai raisonnable.
Le SIRH doit être capable de produire ces analyses automatiquement, d’identifier les zones sensibles et de générer des rapports prêts à être transmis aux autorités ou partagés avec les représentants du personnel. Cette capacité d’automatisation est essentielle pour éviter que les équipes RH ne soient submergées par une charge administrative supplémentaire.
Gérer les demandes des collaborateurs avec rigueur et sécurité
Le droit à l’information introduit par la directive nécessite une organisation claire. Le SIRH peut jouer un rôle déterminant en permettant aux salariés de formuler leurs demandes depuis un portail sécurisé, en déclenchant des workflows de validation internes et en assurant une traçabilité complète des échanges.
Cette gestion outillée permet de répondre dans les délais, d’éviter les erreurs et de sécuriser des données sensibles. Elle contribue également à renforcer la confiance des collaborateurs en garantissant un traitement équitable et transparent.
Conclusion
L’arrivée de la directive européenne sur la transparence salariale marque une étape essentielle dans l’évolution du droit du travail et de la gestion RH en France. Elle oblige les entreprises à assumer une transparence plus grande, à structurer leurs pratiques, à renforcer la qualité de leurs données et à adopter un dialogue interne plus mature.
Les entreprises qui anticipent dès maintenant – en consolidant leurs données, en clarifiant leurs grilles et en s’appuyant sur un SIRH robuste – seront mieux armées pour transformer cette contrainte en levier de performance, d’équité et d’attractivité. Pour les autres, la marche risque d’être haute, car la transparence ne pardonnera pas l’improvisation.